«Nous ne
vivons, pour l’instant, que les balbutiements de
l’environnement virtuel» Christophe Guignard,architecte et
l’un des fondateurs de Fabric.ch. Florian Cella |
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Se promènera-t-on
un jour sur le Net comme on se déplace à l’intérieur d’une
maison ou d’un paysage? Et si oui, quels en seront les repères
alors que dans l’espace virtuel, la pesanteur, le toucher,
l’odorat, notamment, sont des paramètres totalement absents?
Ces questions vous ont peut-être un jour traversé l’esprit,
mais chez Fabric.ch, une start-up lausannoise née il y a cinq
ans, on y réfléchit quotidiennement. Fondée par deux
architectes de l’EPFL et un ingénieur en télécommunication, la
société a vu le jour en plein boum de l’internet, à une époque
— pas si lointaine — où start-up rimait avec poule aux œufs
d’or. Aujourd’hui, Fabric.ch n’est pas mécontente que le
«soufflé soit retombé». Mais dans ses bureaux au cœur de
Lausanne, elle a peu souffert de la dégringolade de la Net
économie. Le chiffre d’affaires 2001 s’établissait à 660 000
francs, celui de 2002 devrait avoisiner les 800 000 francs,
soit des montants qui restent stables depuis deux ans. Tous
les projets sont, quant à eux, autofinancés. «On a atteint
notre rythme de croisière», confie Christophe Guignard,
architecte et l’un des fondateurs de Fabric.ch. Il fait dire
aussi que les activités des sept collaborateurs de la PME
naviguent dans des zones peu connues, voire sur une terra
incognita: l’espace virtuel.
La notion d’espace modifiée «On ne réalise pas
encore à quel point les mœurs sont influencées par les
nouvelles technologies, explique Christophe Guignard. Un
exemple: aujourd’hui, plus personne ne se promène sans son
téléphone portable. Ces nouvelles technologies de la
communication ont modifié notre manière de travailler, de nous
rencontrer et, par conséquent, la notion d’espace public. Nous
avons choisi d’aborder l’internet avec une approche
d’architectes: comment ces nouveaux territoires de
l’information prennent-ils forme? Comment s’approprier ces
lieux virtuels? Quels sont les impacts sur les personnes,
autres que celui souvent cité de la violence dans les jeux
interactifs, de l’environnement 3D?»
De vastes questions
qui ne semblent pas être les seules préoccupations des
architectes de Fabric.ch puisque, la semaine dernière, ces
derniers ont rejoint les 40 000 participants du Siggraph 2002.
Cette manifestation, qui s’est déroulée cette année à San
Antonio (Texas), représente le plus gros rendez-vous mondial
des professionnels de la réalité virtuelle. Sélectionnée avec
une poignée d’autres candidats, Fabric.ch a pu présenter
devant un parterre de spécialistes son dernier projet de
recherche baptisé electroscape.org.
Conceptuel, vous avez dit conceptuel? Durant une
semaine, des ingénieurs basés à Lausanne, mais aussi à San
Antonio, Bruxelles et Berlin, ont cherché à montrer qu’il est
possible de se «rencontrer» à l’intérieur d’une architecture
électronique combinant lieux physiques, ordinateurs portables,
webcams, son, lumière et, bien sûr, programmes informatiques
complexes. On se balade sur internet, on occupe l’espace, on
réaménage certaines zones, on emprunte des portes et des
passerelles, le tout dans un univers dont les repères n’ont
plus rien à voir avec ceux de notre bonne vieille terre.
Conceptuel, vous avez dit conceptuel? «Je reconnais qu’il est
difficile de comprendre d’emblée notre travail, s’amuse
Christophe Guignard. Nos projets ne sont d’ailleurs pas
destinés au grand public.»
Prochaine étape: un programme de
recherche lancé par la communauté européenne, SpacemantiX,
dans lequel les Lausannois amèneront leurs contributions de
cyberarchitectes. Commencée il y a deux mois, la recherche
devrait durer trois ans. «Nous vivons pour l’instant que les
balbutiements de l’environnement virtuel», ajoute Christophe
Guignard. Mais le Vaudois applique aussi une partie du fruit
de ces recherches dans des réalisations destinées à sa
clientèle. Parmi elle, le cigarettier Parisienne. La semaine
prochaine, dans le cadre de la Street Parade, à Zurich, les
internautes pourront se brancher sur un site internet et y
composer leur propre emballage de paquet de
cigarettes.
Autre client: l’école privée Brillantmont. Dans
un mois, l’établissement lausannois se verra doté d’un tout
nouveau site internet dans lequel on trouvera un espace
digital. Là, les élèves, mais aussi les parents et les
professeurs dialogueront, s’identifieront grâce à des icônes —
qui permettent de savoir qui se trouvent sur le site — et
pourront se promener dans un espace qui a été calqué à celui
de l’école. Se défendant d’être des créateurs de sites web
comme les autres — «on refuse parfois de faire des sites
commerciaux classiques» —, Fabric.ch entend tracer une
nouvelle voie: celle des architectes du futur. |