RealRoom(s)
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RealRoom(s), 2005
RealRoom(s), étude architecturale pour le siège mondial de Nestlé
Situations données - Connexions - RealRoom(s) n° 133 - Insertion des RealRoom(s)
fabric | ch

 

RealRoom(s)
Architecture périphérique pour le siège mondial de Nestlé

RealRoom(s) est une étude sur l'espace et les spatialités multiples dans lesquels évolue aujourd'hui l'entreprise globale Nestlé (ses collaborateurs, ses partenaires, ses marchandises, ses flux financiers, …). Elle fait suite à une proposition de transformation de l'espace de représentation de Nestlé, situé au dernier étage de son siège mondial à Vevey, en Suisse. Le projet RealRoom(s) consiste donc également en une proposition d'intervention, mi abstraite, mi concrète: insérer au cœur du bâtiment, dans ses espaces intermédiaires climatisés, une série d'entités spatiales, les RealRoom(s), informées par des horloges atomiques, des capteurs de luminosité, de chaleur, de pression, d'humidité, placés sur l'ensemble du globe selon une trame régulière. Ces RealRoom(s), connectées en permanence, reproduisent en direct, de façon artificielle mais perceptible, une "spatialité terrestre" globale à l'échelle de Nestlé en 2005.

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De jour et de nuit, à l'intérieur de plusieurs fuseaux horaires, du Nord au Sud, sous différentes latitudes, par temps froid et chaud, chaque filiale de Nestlé échange des données, participe à la migration de flux d'information, travaille de façon simultanée, en un mot existe aujourd'hui à l'intérieur d'un espace planétaire, variable et à chaque instant potentiellement multiple. C'est dans cet espace, global au sens propre, que se situe le siège mondial de Nestlé, construit au début des années soixante à Vevey par l'architecte suisse Jean Tschumi et récemment restauré.

Ce bâtiment en forme de Y est intéressant à plus d'un titre, mais en particulier parce que comme beaucoup d'autres immeubles administratifs, et bien qu'entièrement équipé de façades en verre, il est beaucoup trop large et profond pour pouvoir être entièrement éclairé par la lumière naturelle. Ainsi, une fois ses planchers cloisonnés pour créer des bureaux en façades, une part importante de son espace habitable perd toute source d'éclairage naturel et glisse inexorablement dans la catégorie des espaces "100% artificiels", autrement dit : construction humaine, éclairage électrique, sonorités absorbées, climatisation. Attardons-nous un peu sur ces espaces dits « mineurs », « de circulation », « perdus » ou encore « de passage » et que nous appelons pour notre part « 100% artificiels ». Ceux-ci nous informent à plus d'un titre sur la manière dont nous « habitions » et dont nous « habitons » encore aujourd'hui. Quelles sont les règles ici à l'œuvre? Fauteuils en cuir, éclairage agréable et légèrement tamisé, température constante et moyenne (personne n'y a froid ni ne transpire), sonorités atténuées, … Tout concorde ici à aménager un espace « confortable », « filtré » ou encore « feutré », c'est-à-dire ajusté sur une moyenne de sensation de « bien-être », pour maintenir en permanence cet état spatial particulier, sans presque aucune variation journalière ou saisonnière. Et partout, pour cette même fonction, le même espace, la même lumière, la même température : la même sensation, ici comme ailleurs, dans l'ensemble des bâtiments administratifs du groupe, à l'échelle du globe.

Les règles à l'œuvre semblent claires : habitat confortable, ni trop, ni trop peu. Fonction: confort sensitif. On tend ainsi à un fonctionnalisme des sensations et de la perception spatiale, éprouvé par des décennies d'ajustements empiriques et perceptifs presque inconscients, par des décennies d'attirance progressive vers les espaces artificiels et contrôlés. Cela agit comme une sorte « d'attracteur spatial » où toutes les approches et les expériences architecturales devraient immanquablement nous mener: un espace sans variation de température ni de lumière, à l'intérieur d'un spectre spatial habité minimum et d'une relative unicité de l'expérience.

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RealRoom(s), qui se place dans la continuité des expériences menées par fabric | ch sur les spatialités distribuées, revisite le bâtiment administratif moderne: ses environnements artificiels, son organisation spatiale, son caractère d'icône architecturale. Il invite également à le relire de façon oblique afin d'y proposer de nouvelles formes d'espaces en lien direct avec la réalité structurelle globale de Nestlé, avec son existence démultipliée sur différents continents, simultanée au sein d'une pluralité de fuseaux horaires.

Dans le cadre de cette étude, ce sont précisément ces espaces « 100% artificiels », confortables et uniques qui servent de référence au projet d'entités spatiales RealRoom(s). Ces entités demeurent artificielles certes, mais ce sont en premier lieu des espaces dynamiques, faussement statiques qui « gravitent » de manière continue autour du globe, des espaces qui puisent les données temporelles, climatiques, lumineuses, sonores et visuelles qui les informent à différentes sources réparties sur la planète, parmi les réseaux d'information, en direct.

RealRoom(s) nous invite ainsi à penser cette artificialité dans sa globalité, ou encore à concevoir l'espace « 100% artificiel » comme un espace fondamentalement global, abstrait, hors réalité locale existante et donnée. Un espace presque imaginaire, inventé ou encore non tangible: artificiel, produit de l'habileté humaine et des processus d'information, de mise en forme.

RealRoom(s) est donc d'abord une manière de penser ces lieux « 100% artificiels » sur une plage du spectre spatial élargie (matériel – non matériel, visible – invisible, … - …), qui tient compte des paramètres nouveaux de notre environnement contemporain transformé, en mettant en suspens les questions teintées de fonctionnalisme du "confort spatial".

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Mais RealRoom(s), c'est également une référence à peine masquée au nom d'un logiciel qui a transformé l'utilisation du réseau Internet et le contenu diffusé sur le web il y a un peu moins de 10 ans : RealPlayer. Ce « plug-in » permettait de voir de la vidéo (RealVideo) ou d'écouter de la musique (RealAudio), en flux continu (« streaming »), parfois en direct. Il permettait également d'accéder aux visions de caméras distantes (webcams), filmant sans fin le même bout de planète, le même carrefour urbain ou le même lieu inconnu.

A la différence de RealPlayer mais en utilisant le même procédé de flux continu d'information, RealRoom(s) se propose de « streamer » du réel (des fuseaux horaires, de la lumière, du climat, etc.) : autant de données désormais encodables à la source de façon binaire et transmissibles, puis duplicables, multipliables, autant de données devenues désormais potentiels objets d'information et composants architecturaux.

RealRoom(s), entité spatiale, est ainsi un prototype allant puiser ses informations temporelles, lumineuses, climatiques et sonores à une source réelle et localisée (horloge atomique, caméra, capteur d'ondes électromagnétiques (IR, lumière visible, UV, …), station météo, microphone). Elle reproduit cette information « streamée » en continu depuis la source ou depuis une succession de sources, la duplique de façon abstraite en direct, à chaque instant. Elle sert donc de base à ce qui constitue l'essentiel d'un espace « 100% artificiel » global et d'un environnement contrôlé: luminosité, climatisation, ventilation, sonorité.

Une entité spatiale RealRoom(s) peut donc être assimilée à un périphérique informatique. Mais au lieu de diffuser des images ou d'imprimer du papier, le périphérique en question est ici spatial, architectural. Il permet de diffuser des temporalités, des lieux et d'interfacer de la lumière, du son, de la chaleur, de l'humidité ou de l'information. Le périphérique informatique architectural peut être connecté à des sources d'informations distantes et dupliquer ou multiplier une situation existante. Mais cette spatialité périphérique peut aussi et surtout permettre de créer de nouvelles fictions spatiales: bloquer le temps, hybrider des climats, vivre au rythme d'un satellite, brancher les flux lumineux et climatiques sur les cours de la bourse ou du pétrole, …

Dans tous les cas, une façon de s'emparer des différents composants de l'espace habitable pour proposer des situations nouvelles, parfois confortables, mais aussi inconfortables ou encore étranges, ludiques, cognitives, obliques …

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Dans le contexte de l'étude spatiale pour le siège mondial de Nestlé finalisé en 2005, chaque RealRoom(s) est bloquée sur une heure fixe, sur une latitude fixe. Mais pour conserver cette heure fixe, la RealRoom(s) change de source d'information d'heure en heure et effectue ainsi en 24 heures un tour du monde climatique et lumineux fictif: il est toujours la même heure dans une de ces pièces, sur la même latitude. Seule la longitude de la source change, d'heure en heure, entraînant en permanence une variation légère de la lumière et plus marquée de l'humidité, de la chaleur ou du son, produisant ainsi une spatialité nouvelle, à la fois présente et distante, combinée ou construite à partir d'information captées dans le réel.

L'espace "mineur" ou "de circulation" du siège mondial de Nestlé, cet espace coupé de tout référent naturel est ici réoccupé idéalement par une série d'entités spatiales informées par des situations réelles "streamées":
   - 7 niveaux pour 7 latitudes (-90°, -60°, -30°, 0°, 30°, 60°, 90°),
   - 24 + 1 RealRoom(s) par niveaux pour une révolution complète de 24 heures (de 12 am à 12 pm).
De par la morphologie du bâtiment, 6 fuseaux horaires sont dupliqués pour occuper le dédoublement spatial de la seconde branche du Y. Ainsi, ce sont au total 217 RealRoom(s) qui investissent cet espace intermédiaire.

Un peu à la façon de 217 satellites lents qui tourneraient autour de la Terre, au niveau du sol, captant et transmettant leurs informations, sur un rythme journalier de 24 heures afin de rester perpétuellement à la même heure, RealRoom(s) produit une "spatialité terrestre", avec ses extrêmes, ses déserts, ses mers, ses pôles, ses villes, ses jours et ses nuits, son temps qui s'écoule. C'est cette "spatialité terrestre", vibrante, devenue perceptible, qui se trouve insérée en 217 échantillons à l'intérieur du siège mondial de Nestlé, dans ses espaces artificiels, en 2005.

 

fabric | ch, 2005